Un article intéressant dont l’auteur, responsable de Transdev, est évidemment intéressé par l’ouverture à la concurrence. Pour autant les arguments avancés sont à prendre en considération.
4 janvier 2016 | mis à jour le 5 janvier 2016
Laurent Mazille, directeur des relations institutionnelles de TransdevLaurent Mazille, directeur des relations institutionnelles de Transdev
La concurrence pour dynamiser le rail régional en Europe
Dans cette tribune, Laurent Mazille, directeur des relations institutionnelles de Transdev, plaide pour une ouverture à la concurrence du rail européen. A cet égard, 2016 pourrait être une année décisive. Les instances européennes devraient acter le volet politique du 4e paquet ferroviaire qui servira de cadre à cette libéralisation.
Le 4e paquet ferroviaire est en phase de négociation finale à Bruxelles, si le Conseil, le Parlement et la Commission se mettent d’accord sous présidence néerlandaise, l’Union aura un cadre pour l’ouverture d’un secteur encore fermé dans la plupart des pays. Transdev milite pour un texte ambitieux pour le rail, et ne souhaite pas un texte a minima qui freinerait les pays ayant déjà ouvert leurs marchés et inciterait certains États à repousser cette ouverture. Les raisons qui poussent Transdev à promouvoir la mise en concurrence des services ferroviaires régionaux sont pragmatiques et reposent sur nos expériences européennes.
Il ne s’agit pas d’une posture idéologique, encore moins d’une remise en cause du service public de transport (bien au contraire, la Délégation de service public est au cœur de notre métier dans l’urbain et l’interurbain). Transdev soutient la concurrence régulée dans laquelle les autorités locales, régionales pour le rail, décident du contenu des cahiers des charges et des obligations de service public que l’opérateur, retenu après l’appel d’offres, devra respecter.
Ces obligations couvrent les questions de sécurité, de reprise du personnel (la question sociale est importante pour Transdev), l’information voyageurs, la qualité de service, la tarification, la desserte des territoires…
La compétition apporte aux services ferroviaires régionaux, l’innovation au service de la performance car elle permet aux candidats de se différencier, la culture client au cœur des stratégies commerciales et l’expertise technique émanant de différentes expériences acquises en Europe ou dans le monde (Transdev réalise 60 Millions de train-km par an en Europe).
La concurrence permet aussi une meilleure utilisation du réseau, une baisse des coûts des services ferroviaires (10 euros le train-km en Allemagne pour les services régionaux, 19 en France pour les TER !!), et une réduction de ce fait des subventions publiques. L’ARF a souligné l’an dernier que les coûts d’exploitation des TER avaient augmenté de 90% en dix ans.
La concurrence au sein des marchés ferroviaires est également le seul moyen pour rendre le rail compétitif par rapport à l’avion et désormais à la route, devenue attractive avec le covoiturage et la libéralisation des autocars, modes stimulés par le numérique.
La concurrence entraîne aussi une dynamique favorable au système ferroviaire puisqu’elle booste les investissements dont bénéficie notre industrie ferroviaire, aujourd’hui à la peine.
Enfin, et pour faire écho avec la COP 21 qui s’est tenue avec succès à Paris, je rappellerai que le Livre blanc, actualisé récemment par le Parlement européen, a fixé comme objectif de réduire de 60% les émissions de CO² d’ici 2050 dans l’UE et d’avoir 50% des trajets du quotidien réalisés en train ! Depuis 2000, la part du ferroviaire stagne en Europe, il devient donc urgent comme l’a dit Mme Bulc, Commissaire en charge des transports, à la dernière conférence de l’ERA, « d’adopter et de mettre en place rapidement le 4e Paquet ferroviaire ». En Allemagne, sous l’effet de l’ouverture du marché régional, le report modal en faveur du rail a augmenté en dix ans de +25% !
Transdev regrette vivement la multiplication des exemptions réclamées par les États : cette liste est trop longue et multiplie les risques de contentieux, ce qui nuirait à l’efficacité du ferroviaire. La règle générale doit être l’appel d’offres avec obligations de service public. Quant à l’attribution directe basée sur la performance, elle doit être contrôlée par l’Autorité de régulation et réduite dans le temps.
Transdev souhaite également que la période de transition soit raccourcie : elle doit inciter les États à réformer leur système et non à reporter après 2026 une éventuelle ouverture. A ce titre, la France ne doit pas attendre 2026 pour lancer progressivement cette ouverture. Il est grand temps de redonner un objectif ambitieux au ferroviaire. L’opinion publique y est favorable (78% selon le dernier sondage AFRA/Elabe, novembre 2015), et certains présidents de région souhaitent l’expérimenter rapidement pour retrouver de nouvelles marges de manœuvre financières.
Transdev sera aussi vigilant sur la définition des Autorités organisatrices de transport. Leur autonomie doit être garantie, leurs compétences en matière d’attribution des contrats doit être préservées, c’est la condition pour réussir une mise en œuvre progressive de l’ouverture dans le rail régional.
Sur le volet Gouvernance, Transdev regrette que l’on autorise les structures intégrées ou holdings qui regroupent Gestionnaire d’infrastructure et Opérateur historique. La tendance naturelle de l’opérateur sera de vouloir bénéficier indirectement des avantages que représente cette proximité pour l’attribution des sillons, l’accès aux facilités essentielles, la programmation des travaux sur le réseau. La transparence financière est proclamée mais il convient désormais de la sanctuariser dans le marbre européen. L’Autorité de régulation doit avoir la totalité des pouvoirs lui permettant de contrôler cette indépendance du Gestionnaire d’infrastructure.
Il convient enfin d’insister sur l’accès au matériel roulant. Comme nous le voyons en Allemagne, cela constitue un frein au développement des offres alternatives. L’opérateur historique profite de sa position dominante pour imposer ses choix à la collectivité ou obtenir de meilleures solutions de financement lorsque la collectivité demande de financer le matériel.
L’ouverture n’est pas une fin en soi, c’est un levier au service des autorités régionales pour mieux utiliser les crédits publics, augmenter la part modale du rail, attirer de nouveaux voyageurs, favoriser l’innovation et soutenir nos industries. Chacun devra prendre sa part de responsabilité dans ces négociations. En prolongeant la fermeture des marchés nationaux, les États condamnent au déclin le rail en Europe. A Paris comme à Bruxelles, l’année 2016 sera donc une année importante et je formule le vœu qu’elle soit positive pour l’avenir du ferroviaire régional en France.
Laurent Mazille
Directeur des relations institutionnelles de Transdev
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