A Paris, le péage urbain s’invite dans les élections régionales

vendredi 26 février 2010
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La France va-t-elle expérimenter le péage urbain ?

LE MONDE du 18.02.10

Un péage urbain à Paris... L’idée, lancée fin janvier par Chantal Jouanno, secrétaire d’Etat à l’écologie et tête de liste parisienne de l’UMP pour les élections régionales, a surpris. Cette proposition, a-t-elle précisé, pourrait même être l’un des sujets d’un « Grenelle de Paris » que Mme Jouanno envisage d’organiser

Un dispositif qui existe dans le monde entier

Singapour. Le doyen des péages urbains a été mis en place en 1975 pour réguler l’entrée des véhicules dans le centre des affaires. Quarante-cinq portiques électroniques vérifient que les véhicules sont équipés de badges et de cartes prépayées. Le passage coûte entre 0,23 et 1,2 euro. Le nombre de voitures pénétrant dans la zone a été réduit de 76 %.

Londres. Destiné à réduire la congestion de l’hyper-centre, le péage a été instauré en 2003 sur 22 km2. Une extension de 20 km2, ajoutée en 2007, pourrait être supprimée en 2010. Les véhicules entrant ou présents dans la zone payent 8 livres (9,10 euros) par jour. Les résidents bénéficient d’un abattement de 90 %. Le nombre d’entrées dans la zone a baissé de 36 %, la pollution au dioxyde d’azote a diminué de 17 %, les microparticules de 23 %.

Stockholm. Après sept mois d’expérimentation, le péage qui ceinture les 35 km2 du centre-ville a été adopté en 2007 pour faire baisser la circulation. Les véhicules paient entre 1 et 2 euros chaque fois qu’ils passent l’un des 18 points d’entrée dans la ville. Le trafic a baissé de plus de 20 % au passage du cordon et de près de 15 % à l’intérieur de la zone. La pollution a reculé de 10 % à 14 %.

Milan. Le péage écologique mis en oeuvre début 2008 a pour objectif de rendre l’air plus pur. Les véhicules paient entre 2 et 10 euros par jour, selon leur niveau de pollution, pour accéder à un coeur historique de 8,2 km2 doté de 43 points d’entrée. Les particules fines y ont régressé de 19 % - contre un objectif de 30 % - et le nombre de véhicules dans la zone a baissé de 14 %.

Oslo. Depuis sa création en 1990, le péage a eu pour objectif de financer les investissements dans les infrastructures routières, puis dans les transports en commun. Le cordon isole une zone de 40 km2, accessible par 19 stations de péage. Les voitures paient 2,75 euros, les camions 8,20 euros. Ainsi financé, le tunnel de 2 km sous le centre-ville a réduit la congestion de 20 %.

Le cadre législatif actuel ne permet pas aux municipalités françaises d’imposer un octroi aux véhicules.
Et si la loi Grenelle 2, examinée en commission par les députés depuis le 2 février, prévoit d’autoriser les agglomérations de plus de 300 000 habitants à expérimenter ces péages urbains, la plupart des maires y voient une bombe électorale plus qu’un outil de régulation du trafic. Michel Destot, maire (PS) de Grenoble et président de l’Association des maires des grandes villes de France, est un des rares à les défendre à voix haute.
Les péages urbains ont pourtant fait leurs preuves, notamment en Europe, où ils n’ont cessé de se développer : Oslo, Bergen et Trondheim en Norvège, Rome, Milan et Bologne en Italie, Londres, Stockholm, font payer l’accès à leur centre-ville. Copenhague, Berne, Birmingham et Newcastle veulent leur emboîter le pas.

« Le point commun à tous les péages européens, c’est que le trafic a baissé d’environ 20 %, sans qu’on observe de report de la congestion à l’extérieur de la zone payante », observe Alain Meyere, directeur du département mobilité et transport à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Ile-de-France. « Seul ce système permet de faire payer aux automobilistes les coûts que leur circulation engendre pour la collectivité », ajoute Damien Verry, du Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques (Certu).

« Les péages urbains sont un des outils pour supprimer les bouchons qui mettent la ville en situation d’infarctus », estime le sénateur Louis Nègre (UMP, Alpes-Maritimes). C’est lui qui a réintroduit le péage urbain dans l’arsenal du Grenelle de l’environnement, d’où le gouvernement l’avait retiré. « Grâce à eux, on circule à nouveau bien, la qualité de vie est meilleure, l’économie fonctionne mieux, les recettes permettent de financer les transports en commun et on fait baisser la pollution atmosphérique, responsable de 30 000 morts prématurées en France chaque année. »

« Certains espèrent que le péage urbain répondra au triple objectif de lutter contre la congestion, financer les transports collectifs et réduire la pollution, mais ça n’est pas si simple », relativise M. Verry. Ainsi, les péages norvégiens visent à financer les infrastructures de transport, les modèles de Londres et Stockholm ont pour objectif de réduire les embouteillages et le système milanais est conçu contre la pollution.

« Ces objectifs ne sont pas compatibles entre eux, en particulier concernant les règles tarifaires », détaille M. Meyere. « Il faut commencer par décider sur quoi on veut agir. » Dans un péage de financement, la ville n’a pas intérêt à ce que la circulation baisse trop et cherche à maximiser ses recettes en fidélisant les utilisateurs. Dans un dispositif anticongestion, au contraire, le tarif doit être dissuasif mais les recettes restent trop faibles pour financer le développement des transports en commun. A Londres, les revenus générés par le péage ont été deux fois moindres qu’espéré en raison de la forte chute du trafic et d’un coût d’exploitation qui engloutit la moitié des recettes.

La plupart de ces systèmes fonctionnent de manière informatisée grâce à un dense et coûteux réseau de caméras qui photographient les plaques d’immatriculation et croisent leurs données avec celles de la base de paiement du péage.

Un péage mal dimensionné peut aussi rater une partie de sa cible, comme Milan en a fait récemment l’expérience. Malgré le péage antipollution en place depuis 2008, la ville a dû interdire totalement la circulation fin janvier, après deux semaines de dépassement des seuils de microparticules. « La taxation en fonction du niveau de pollution des véhicules aide à renouveler le parc automobile, mais la zone payante, limitée au centre historique, est trop restreinte : la pollution ne s’arrête pas au péage », explique M. Meyere.

Revenons à Paris. Faut-il faire payer les automobilistes aux portes de la capitale, sur le modèle suédois ? Taxer les véhicules dans l’hypercentre seulement, comme à Londres ? Pénaliser les véhicules les plus polluants, façon Milan ? Pour la plupart des observateurs, la morphologie parisienne ne s’y prête pas. Une autre solution existe, préconisée par le Centre d’analyse stratégique : rendre payantes les autoroutes gratuites de la région parisienne. « Un cordon de péage autour de Paris créerait de la ségrégation urbaine, en revanche nous sommes favorables à un péage de réseau destiné à lutter contre la pollution », appuie Annick Lepetit, adjointe (PS) au maire de Paris chargée des transports. « Sur le modèle de l’écotaxe prévue par le Grenelle 2, on peut imaginer faire payer les véhicules en fonction de leur niveau de pollution sur les autoroutes d’Ile-de-France, voire sur le périphérique. »

Reste un hic. Les expériences étrangères le prouvent : impossible de freiner l’usage de la voiture sans renforcer d’abord les réseaux de transports collectifs, totalement saturés en région parisienne. Un obstacle qui risque de renvoyer l’hypothèse d’un péage urbain parisien à des jours lointains, bien plus sûrement que l’impopularité supposée de la mesure.

« Généralement, la majorité de la population est opposée à l’idée a priori, mais se révèle favorable au dispositif une fois qu’il fonctionne », analyse Damien Verry, du Certu. A Stockholm, le péage a été approuvé par référendum après une expérimentation de sept mois. A Manchester et Edimbourg, la population, consultée de but en blanc, a rejeté la proposition.

Grégoire Allix
Article paru dans l’édition du 18.02.10


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